Véritable « arbre à pain »de la Corse, le châtaignier permit de régler progressivement le problème de la famine. En Castagniccio, on était non seulement berger mois aussi paysan et artisan : c’est toute une civilisation rurale qui se développa autour de la châtaigne. Nourriture de base, la châtaigne dont on fait encore de la farine, fut longtemps échangée contre de l’huile d’olive, du fromage ou du vin. Elle servit aussi à engraisser les porcs. Utilisé dans la construction et dans la fabrication des corbeilles, des fûts et des meubles, le bois de châtaignier est souple et imputrescible. La plupart des objets domestiques sont réalisés dans cette essence. Le statut du patrimoine foncier en Costagniccia est étonnant : la possession d’un châtaignier est inaliénable, quel que soit le propriétaire du sol. Une image péjorative de récolte sans efforts, qui inciterait les populations à l’indolence, lui est attachée. Or les châtaigneraies dont certaines ont plusieurs centaines d’années, nécessitèrent un extraordinaire travail de soutènement. Dans la Castagniccio, les « pieves », vallées encaissées dont le dénivelé peut atteindre mille mètres, furent consolidées par des ferrasses. Elles disparaissent sous les forêts, et ne sont aujourd’hui plus entretenues quoique couvrant l’essentiel du territoire, soit plus de 15 000 hectares. La plantation des forêts, favorisée par les Génois se fit peu à peu tout au long des siècles. Tant et si bien qu’au XVIIe siècle, la Castagniccia était la région la plus prospère et la plus peuplée de l’île. En témoignent encore les très nombreuses églises baroques d’inspiration génoise, dotées de magnifiques campaniles souvent ornés de volutes et très ouvragés, ou les belles maisons de maître qui datent de la même époque. Cette période de prospérité prit fin ou siècle dernier, lorsque l’abandon de l’utilisation de la châtaigne et sa substitution progressive par une alimentation plus variée, provoquèrent l’effondrement économique de la Castagniccia, ainsi que sa désertification. Le vieillissement de la population et l’abandon des châtaigneraies pourraient, à terme, provoquer une modification radicale du paysage. La Castagniccia est encore la seule région de corse qui ne brûle jamais, à cause de l’humidité constante qui règne dans les sous-bois. La couverture forestière se maintient grâce aux terrasses. Mais cet équilibre fragile ne résistera probablement pas longtemps à la désaffection des hommes. Parallèlement à cet abandon d’origine économique, cette légion dépeuplée mais accueillante commence seulement à s’ouvrir au tourisme vert. On peut découvrir, grâce à un réseau de routes étroites et sinueuses souvent occupées par des troupeaux de cochons sauvages et de chèvres, cette imposante et sombre forêt.